Eichmann et la solution finale

Publié le par Ritoyenne


La culpabilité d'Eichmann, 
"spécialiste" de la déportation


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VOIX OFF. -Le Führer a ordonné la destruction, la destruction physique des juifs.

EICHMANN -J'ai reçu l'ordre de me présenter à Heydrich. Il m'a dit: « Le Führer a ordonné la destruction, la destruction physique des juifs. » Il ma donné l'ordre d'aller à Lublin et d'y prendre contact avec Globocnik. Je suis arrivé à Lublin, l'installation n'était pas encore en service. Je suis rentré à Berlin, où j' ai fait mon rapport et, conformément aux consignes, j'ai informé mon supérieur, le général Müller, ainsi que le chef de la police de sécurité, de ce que j'avais vu.
Mon deuxième voyage, ce n’est pas Heydrich, mais Müller, qui l'a ordonné. Il m'a dit que je devais me rendre dans le Warthegau et m'a informé que des juifs étaient gazés à Kulm, ou Kulmhof. Il voulait un rapport sur la façon dont ça se passait. A Kulmhof, j'ai observé le processus, conformément aux ordres. J'ai pris des notes et je suis rentré à Berlin où j'ai fait un rapport à Müller sur ce que j'avais vu. Après avoir fait mon rapport à Müller, je lui ai demandé pour la première fois de m'affecter à une autre fonction, car je ne me sentais pas à ma place dans cette affaire. Müller ma répondu qu'un soldat au front ne pouvait pas choisir sa place, mais devait faire son devoir quel que soit son poste.
Après cette visite à Kulm, j' ai encore été envoyé en mission par Müller, à Minsk cette fois. Müller m'a dit que des exécutions avaient lieu à Minsk et qu'il voulait un rapport à ce sujet. Je suis arrivé à Minsk, où une opération d'extermination était justement sur le point de se terminer. J'ai vu des soldats tirer sur une foule de gens debout dans un fossé. C'est à cette occasion que j'ai vu, comme je l'ai déjà dit, un enfant se faire tuer dans les bras de sa mère.
C'est seulement après mes visites sur ces lieux, conformément aux ordres, et après avoir rapporté ce que j'y avais vu, que j'ai reçu l'ordre d'aller à Auschwitz pour rendre compte de cette question à Müller.
Par la suite, j'ai reçu à nouveau l'ordre d'aller à Lublin. Je devais remettre au général Globocnik une lettre qui le chargeait... qui l'autorisait à tuer cent cinquante mille ou deux cent cinquante mille juifs. La raison en est que je me souviens encore d'avoir entendu que Globocnik avait eu l'idée curieuse de recevoir cette autorisation par écrit après les faits. C'est apparemment ce qu'il avait demandé. Mais je me rappelle aussi être passé en voiture par Lemberg, dans les faubourgs, et d 'y avoir vu quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant, une fontaine de sang. Je suis passé à un endroit où des juifs avaient été fusillés peu de temps auparavant et - probablement suite à la pression des gaz - le sang jaillissait de la terre comme un jet d'eau. Ce sont les quatre voyages officiels que j'ai faits en service commandé et au cours desquels j' ai été en contact direct avec l'extermination des juifs. J'ai vécu cela contre ma volonté. Je devais obéir, je devais le faire. Je n'ai pas d'autre témoignage à ce sujet.

PROCUREUR GÉNÉRAL HAUSNER. -A vos yeux, est-ce que quelqu'un qui s'occupait de l'extermination des juifs était un criminel ?

EICHMANN. -C'était un homme malheureux.

PROCUREUR GENERAL HAUSNER. -Était-ce un criminel ?

EICHMANN. -Je ne veux pas m'aventurer à répondre à cette question, puisque je n'ai jamais été mis dans une telle situation.

PROCUREUR GÉNÉRAL HAUSNER. -Vous avez vu Ross faire ça à Auschwitz. L'avez-vous considéré comme un criminel, un meurtrier ? Un criminel, ou non ?

EICHMANN. -J'avais pitié de lui, j'étais désolé pour lui.

PROCUREUR GÉNÉRAL HAUSNER. -Est-ce que vous le considériez comme un criminel, oui ou non? 

EICHMANN. -Je ne dévoilerai pas mes sentiments intimes.

PROCUREUR GÉNÉRAL HAUSNER (au président du tribunal). -J'en appelle à la Cour.

PRÉSIDENT LANDAU (à l'accusé). -Vous allez répondre à toutes les questions, jusqu'à ce que je vous dispense de le faire.

EICHMANN. -Oui, monsieur le président, je suis prêt. Mais j'ai le sentiment d'être grillé ici comme un steak sur un grill.

PRÉSIDENT LANDAU. -Allez-y, monsieur Hausner.

PROCUREUR GENERAL HAUSNER. -C'est une question que vous ne pourrez pas fuir. Comment avez-
vous considéré l'entreprise d'extermination et les gens qui y participaient ? Répondez.

EICHMANN. -Un homme peut se trouver dans une situation qui rende presque fou, et où il suffirait d'un rien, même pas un acte réfléchi, pour qu'il prenne son pistolet. Comment la personne réagit à cela, ça dépend
de l'individu. Je peux seulement dire comment moi, probablement, j'aurais réagi à cela. Si j'avais été affecté à l'extermination, je me serais probablement tiré une balle à ce moment-là, je crois. Évidemment, je ne peux pas dire avec certitude quelle aurait été ma réaction. Mais... étant donné mes réactions et ce que je savais alors, je crois que j' aurais mis fin à mes jours, pour me sortir de toute cette affaire.

PROCUREUR GÉNÉRAL HAUSNER. -Au cours de vos interrogatoires par la police, à la fin de votre première déclaration, vous avez dit: « Je sais que je vais être jugé coupable de complicité de meurtre. Il est clair que je risque la peine de mort. Je ne demande aucune indulgence, parce que je ne la mérite pas. » Vous avez dit que vous étiez prêt à vous pendre en public pour expier les crimes abominables qui ont été perpétrés. Ce sont vos propres mots, tels qu'ils figurent à la page 361 de votre déposition. Par conséquent, vous reconnaissez-vous complice de l'assassinat de millions de juifs ?

EICHMANN. -Du point de vue juridique...

PROCUREUR GÉNÉRAL HAUSNER. -Ma question n'est pas juridique! Vous considérez-vous coupable de complicité dans le meurtre de millions de juifs, oui ou non ?

EICHMANN. -Coupable du point de vue humain, oui, parce que je suis coupable d'avoir organisé les déportations. Les regrets sont inutiles... personne ne peut être ramené à la vie par des regrets. Les regrets ne font aucun bien, regretter des choses est inutile, les regrets, c'est bon pour les enfants. Ce qui est plus important, c'est de trouver le moyen, à l'avenir, d'empêcher que de tels événements soient possibles dans l'avenir.
Et j'ai l'intention de demander l'autorisation, après le procès, d'écrire toutes ces choses sous la forme d'un livre dans lequel je pourrai m'exprimer librement. Je suis prêt à appeler un chat un chat pour servir d'exemple dissuasif aux générations d'aujourd'hui et à celles du futur.

PRÉSIDENT LANDAU. -Un instant, monsieur le procureur général. Je m'adresse maintenant à l'accusé.
Je veux que vous compreniez bien qu'il est de votre devoir de dire ici tout ce que vous pourriez écrire dans le livre que vous venez d'évoquer. Appelez un chat un chat, comme vous le feriez dans ce livre. C'est votre devoir... exactement comme vous l'auriez fait, ou comme vous le feriez dans un livre. Sans rien cacher.

EICHMANN. -Bien, très bien. Puisque vous m'avez demandé, monsieur le président, de donner ici une réponse claire, eh bien, je tiens à déclarer que je considère ce meurtre, l' extermination des juifs, comme l'un des crimes majeurs de 1'histoire de 1'humanité.
Je déclarerai pour terminer que déjà, à l'époque, personnellement, je considérais que cette solution violente n'était pas justifiée. Je la considérais comme un acte monstrueux. Mais à mon grand regret étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m'occuper de la question de l'organisation des transports. Je n'ai pas été relevé de ce serment...
Je ne me sens donc pas responsable en mon for intérieur. Je me sentais dégagé de toute responsabilité. J'étais très soulagé de n'avoir rien à faire avec la réalité de l'extermination physique. J'étais bien assez occupé par le travail que l'on m'avait ordonné de prendre en charge. J'étais adapté à ce travail de bureau dans la section, j'ai fait mon devoir, conformément aux ordres. Et on ne m'a jamais reproché d'avoir manqué à mon devoir. Aujourd'hui encore, je dois le dire.

Extrait des séances du procès Eichmann,
cité dans Rony Brauman et Eyal Sivan,
Éloge de la désobéissance, p. 57-161.
© Ed. Le Pommier, 1999.


Le procès en vidéo :
"Un spécialiste" (film du procès Eichmann) 
(par Rony Brauman et Eyal Sivan)

"Les transports d'enfants pourront rouler"
Dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem qui compile ses chroniques de ce procès, Arendt conclut qu'Eichmann n'a montré ni antisémitisme ni troubles psychiques, et qu'il n'avait agi de la sorte durant la guerre que pour « faire carrière ». Elle le décrit comme étant la personnification même de la « banalité du mal », se basant sur le fait qu'au procès il n'a semblé ressentir ni culpabilité ni haine et présenté une personnalité tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Elle élargit cette constatation à la plupart des criminels nazis, et ce quel que soit le rang dans la chaîne de commandement, chacun effectuant consciencieusement son petit travail de fonctionnaire ou de soldat plus préoccupé comme tout un chacun par son avancement que par les conséquences réelles du travail. Beaucoup comme S.Milgram allèrent plus loin dans ce raisonnement en affirmant que chacun, pour peu que les bonnes conditions soient réunies, les bons ordres, les bonnes incitations données au bon moment, peut commettre les crimes les plus odieux, mais Arendt elle-même refusa cette interprétation.



voir aussi :
Le nazisme : page regroupant tous nos documents historiques
« Entretien avec Hannah Arendt » de Günter Gaus : cet entretien télévisé eut lieu au plus fort de la polémique déclenchée par la publication du livre «Eichmann à Jérusalem», récit du procès du criminel nazi, exécuteur zélé de la solution finale.

Eichmann et la morale kantienne (Arendt)
Qu'est-ce qu'un crime contre l'humanité? (Arendt)

Voir en complément un site sur l'"expérience de Milgram" :
S.Milgram, Soumission à l'autorité 
http://perso.orange.fr/qualiconsult/milgram.html

Publié dans Histoire

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Voilà où ça mène le respect de l'ordre établi, des "serments" et de l'obeissance!qu'on se le dise!Je ne crois pas que les gens en aient encore bien pris conscience.
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